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L'humeur des mots

23 février 2013

Ce pistolet de Pistorius !

Si j’avais le talent de Daniel Goossens, je ferais une nouvelle version de sa BDGeorge et Louis romanciers. Cela s’intitulerait Oscar et Gaspar romanciers. Cela démarrerait comme ceci. Un beau matin Oscar, visiblement pas dans son assiette, entre dans le bureau de Gaspar.

 

- Gaspar : Qu’est-ce qui t’arrive, Oscar ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette.

- Oscar (en larmes) : J’ai fait exploser le cadre traditionnel du récit.

- Gaspar : Encore ? Tu pouvais pas te retenir ?

Entre alors la femme de ménage, Conchita, qui s’adresse à Gaspar.

- Conchita : Qu’est-ce qu’il a encore fait, Oscar ?

- Gaspar : Tu te rends compte ? Il a fait exploser le cadre traditionnel du récit.

- Oscar (la voix entrecoupée de sanglots) : Mais j’ai pas fait exprès !!!

- Conchita : Madre de Dios ! Encore oun cadre cassé ?

 

On ne sait pas bien ce qui est arrivé à Oscar Pistorius, dans cette nuit où tous les chats sont gris, aux premières heures de la Saint-Valentin, à Prétoria. On sait en revanche ce qui est arrivé à Reeva Steenkamp, une mannequin de 29 ans, sa petite amie depuis novembre dernier, qu’on a retrouvée au petit matin avec quatre balles dans le corps. Peut-être que le romancier Oscar n’a pas fait exploser le cadre traditionnel du récit, mais pour la tête de la belle Reeva, on est moins sûr. En attendant d’en savoir plus, faisons-lui confiance, car ce n’est pas un romancier débutant.

Sa version des faits est à peu près celle-ci. Il dort à poing fermé, avec tout de même un doigt sur la gâchette de son pistolet – ce pistolet de Pistorius, c’est une piste ! – quand tout d’un coup il entend un bruit dans les toilettes. Son premier reflexe n’est pas de penser à Reeva, qu’il sait pourtant dans la maison, mais à un cambrioleur, un de ces monte-en-l’air sud-africains qui ne reculent devant rien pour s’emparer d’un rouleau de papier de toilette. Ou bien qui viennent faire main basse sur les seringues et la testostérone qu’Oscar a planquées dans la chasse d’eau et que les fins limiers de la police ont découvertes plus tard. Vous savez, ces produits interdits qui lui ont donné des ailes aux jeux olympiques de Londres, quand il s’est aligné dans les cent mètres avec les valides. Or un champion de cette trempe, ça sort des starting blocks comme une flèche de l’arbalète. De même ici. Pistorius sort donc son pistolet, ni une ni deux, et braque l’ombre chinoise dans le petit coin. Un premier pan, un deuxième pour voir, un troisième pour faire bonne mesure et un quatrième pour finir le travail. Tout à son tir au pistolet à dix mètres, autre discipline olympique, il ne voit pas que le cambrioleur s’est déguisé en femme. L’erreur est humaine ! C’était lui ou lui.

A sa place qu’auriez-vous fait ? Devant un intrus qui brandissait comme seule arme deux téléphones portables, vous auriez tiré quatre fois à bout portant ? Je parie que non. Surtout pas un matin de la Saint-Valentin. On voit par là que vous n’êtes pas un athlète de haut niveau. Oscar par contre, toujours convaincu d’avoir descendu son cambrioleur, se souvient tout d’un coup que l’Afrique du Sud est une démocratie, avec sa police, ses instances judiciaires, ses tribunaux. C’est un pays où la violence est quotidienne, où l’on vous crève un œil pour un oui pour un non, c’est entendu ! Mais ce n’est pas une raison pour que chacun se fasse justice dans son coin. On n’est pas au Far West, que diable ! Il vaut donc mieux appeler la police, le cambrioleur étant désormais hors d’état de nuire. C’est ce qu’Oscar se dit en le voyant immobile sur le carreau. Mais il ne téléphonera pas lui-même ; il demandera à Reeva, qui est une virtuose des iPhone et autres Blackberry. Où elle est, Reeva ? A cette heure matinale, elle doit pioncer comme d’hab. Elle n’a pas été réveillée par le chahut et les quatre détonations ? Oscar se met donc à sa recherche. Il allume dans toutes les pièces : chambre, lit, cuisine, salle de bains, bureau. Pas de Reeva à l’horizon. Ce n’est qu’en allumant dans les toilettes et en enjambant le corps de sa victime, qu’il remarque une chose bizarre. Bizarre, vous avez dit ? Comme c’est bizarre ! Cette poitrine avantageuse, cette chute des reins divine, cette Aphrodite sortant des eaux, ça lui rappelle quelqu’un. Pas de doute, ce cambrioleur est une cambrioleuse ! Mais oui, mais c’est bien sûr ! Où avais-je la tête ? En effet, où Oscar avait-il la tête ? Tout d’un coup son rand sud-africain (c’est la monnaie de là-bas) tombe. Ce corps affaissé baignant dans son sang n’est autre que celui de Reeva ! O rage ! O désespoir !

Essayons de nous mettre à la place d’Oscar. Il vient d’abattre sa compagne en lui logeant quatre balles dans le profil. En la trouant comme une passoire. Mais tout le monde peut se tromper. Comme on vous disait : la nuit tous les chats sont gris. Difficile de distinguer un cambrioleur travesti d’une Vénus de Milo. Si vous ne croyez pas Oscar, si vous pensez qu’il a fait exprès d’exploser la tête de Reeva, reconnaissez tout de même que c’est un excellent romancier, qui a fait exploser en même temps le cadre traditionnel du récit. 

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L'humeur des mots
  • Recherches sur les mots dans le vent, les expressions qui viennent de sortir, les petites phrases qui font le tour de la blogosphère, leur passé en amont et leur possible avenir en aval. Un point de vue étymologique mis au diapason de l'actualité.
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